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Commençons avec une pensée de l’avocat Fidel Castro (1926). Mais soyons rassurés, je ne veux en aucun cas me faire le chantre d’un homme politique ni de la révolution Cubaine. Loin de là, je veux simplement lancer un appel du cœur à la jeunesse africaine.

Alors qu’il plaidait à son procès au tribunal d’urgence de Santiago le 16 octobre 1953, Fidel Castro, dans un long discours où il laisse transparaître les grands axes de son programme politique, dit ceci :

 A lui, ce peuple dont les routes pleines d’angoisses sont pavées de tromperies et de fausses promesses, nous n’allions pas dire : «Nous te donnerons un jour», mais : «Tiens, prends, et lutte de toutes tes forces pour conquérir la liberté et le bonheur !»

Plus tôt, l’homme à la fois l’accusé et son propre défenseur (avocat) venait de dresser une liste des maux dont souffrait le peuple cubain d’alors : chômage endémique, corruption, misère, cadre et condition indécentes de travail et de vie, etc. Vu sous cet angle le Cuba d’alors serait assimilable à l’Afrique d’aujourd’hui. En 2015, la Banque africaine de développement a estimé que la corruption fait perdre l’équivalent de 148 milliards de dollars à l’Afrique chaque année. A titre comparatif, lors du sommet de Paris (mai 2021), seulement 34 milliards de dollars des droits de tirages spéciaux du FMI ont été affectés à l’Afrique pour la gestion de la crise du coronavirus. Mais n’exagérons rien. L’Afrique, dans les chiffres, a aussi fait des progrès. La croissance économique y est soutenue et s’établit en moyenne à 4% - 6% depuis plusieurs années (avant covid-19). Cependant, ayons l’honnêteté de reconnaître les importants efforts qu’il reste à fournir.

A l’époque, Fidel Castro appelait le peuple cubain à la responsabilisation, si, ce dernier aspirait vraiment à un lendemain meilleur. Aujourd’hui, c’est ce même appel à la responsabilité que je veux lancer à la jeunesse africaine, dont je fais partie intégrante. Bien que ce soit une honte de vouloir me hisser au rang de cet homme de droit, je m’en voudrais tout de même de ne pas exprimer clairement ma pensée. La jeunesse africaine doit, elle aussi, aujourd’hui prendre ses responsabilités. Toutefois, les contextes sont différents, et bien heureusement. Il ne s’agit pas pour la jeunesse africaine d’organiser, au prix de son sang, une «guérilla», mais de se prémunir contre une forme gravissime et mortifère d’impéritie dont la conséquence sera des nations aux rues jonchées de «kakistocrates».

A ce stade, d’aucuns, sans hésitation évoqueront le combat des panafricains et iront jusqu’à leur confier le destin de l’Afrique. Ils ont raison. En effet, Kwame Nkrumah, Sylvanus Olympio, Ahmed Sékou Touré, Jomo Kenyatta, par leur militantisme indépendantiste, ont posé une base pour une Afrique prospère. C’est après cette vague que s’installe toute la désillusion. Soixante-et-un (61) ans après l’accession à l’indépendance du pouvoir colonial, on s’interroge encore sur le destin de l’historique discours panafricaniste «L'Afrique doit s'unir. Unis nous résistons», prononcé par le docteur Asagyesfo Kwame Nkrumah au sommet de l’ancienne Organisation de l'Unité Africaine (OUA) à Addis-Abeba, le 24 Mai 1963. En tout cas, il y a une certitude. L’Afrique ne dispose pas d’une monnaie unique commune. Le marché commun africain n’est pas totalement effectif, encore faudrait-il une cohésion au niveau des marchés sous régionaux existants. Il n’existe pas non plus de système continental de télécommunication ni de défense. L’Afrique n’a pas une stratégie diplomatique commune à l’étranger. Peut-être que certains ont eu raison de penser que le «Nkrumahism» et ses ambitions n’étaient qu’une utopie et n’avaient que pour seul but le culte de la personnalité de Nkrumah.

Une chose est sûr, ce n’est ni le moment ni l’endroit pour refaire l’histoire. D’ailleurs, ce n’est pas la meilleure stratégie pour sortir les 250 millions d’africains sous-alimentés de la famine. L'Afrique est la deuxième région du monde qui concentre le plus grand nombre de personnes sous-alimentées, après l’Asie (381 millions). L'Amérique latine et les Caraïbes clôturent le classement (48 millions). Mais en pourcentage, l'Afrique est de loin la région la plus impactée par le fléau de la famine. Dix-neuf virgule un pour cent (19,1 %) de sa population est sous-alimentée. Ce taux est plus de deux fois supérieur à ceux de l'Asie (8,3 %) et de l'Amérique latine et des Caraïbes (7,4 %). Si la tendance actuelle se poursuit, en 2030, l'Afrique abritera plus de la moitié des personnes qui souffrent de manière chronique de la faim dans le monde.

Les mouvements panafricains qui ont succédé à ceux ayant conduit aux indépendances n’ont pas suffi à créer de nouveaux changements majeurs sur le continent. Faut-il remettre en cause le patriotisme de la nouvelle classe des panafricains ? Est-ce plutôt une question de volonté ou de biais à l’inaction ?

Là également il y a une certitude. La facilité à indexer rapidement le joug du néo-colonialisme. Et nous, les jeunes gens, ne nous empressons pas d’entériner cette idée. Tout se passe au-dessus de nos têtes.

Dans les lignes suivantes, je ne ferai pas l’éloge des nombreuses solutions de développement « top down » qui font florès et pourtant, distraient et détournent les jeunes africains, par leur caractère « superficiel ». Au contraire, je défends une approche « bottom-up » du développement socio-économique qui responsabilise et intègre pleinement les jeunes africains. Mais avant, un éclaircissement que je n’ai trouvé dans aucun ouvrage à ce jour me paraît nécessaire.

Un développement socio-économique par les politiciens africains est une fausse bonne nouvelle.

C’est une grande erreur des africains de penser que leurs dirigeants sont élus pour le développement économique.

Dans le système privé, les actionnaires élisent un directeur général pour une durée déterminée avec un contrat défini. Ils lui assignent des objectifs précis, ce dernier s’engage à honorer les engagements du contrat et a l’obligation de résultats. Le directeur général forme une équipe constituée de directeur des ressources humaines, directeur administratif et financier, directeur commercial, etc. Rappelons que le conseil d’administration (les actionnaires) a son mot à dire dans les désignations des autres directeurs.

Soit, les objectifs sont atteints et le système ainsi formé continue son mandat. Soit, dans le cas contraire les actionnaires demandent la démission du directeur général. Ce dernier peut, un tant soit peu contester, se justifier et dans le meilleur des cas aboutir à une solution consensuelle avec un plan d’action clair et réaliste pour corriger son tir. Il ne peut en aucun cas s’imposer. Dans tous les cas, la décision finale ne lui revient pas.

Revenons au système public. Le peuple représente les actionnaires. Le président de la république représente le directeur général, la constitution le contrat qui lie les deux parties. Le gouvernement représente l’équipe et les autres directeurs sont les ministres. Contrairement au système privé, le président de la république une fois élu ne craint plus la sanction du peuple et peut même modifier les clauses du contrat initial. En effet, le peuple sanctionne par le vote. Mais la population africaine ne vote pas sur la base de résultats, le président se contente simplement d’acheter leur voix. Cela veut dire que le système n’incite pas suffisamment le président de la république à avoir de bons résultats. Au contraire, il l’incite à s’enrichir conséquemment (et par tous les moyens possible) pour acheter les voix de la population au prochain vote. Nul besoin de rappeler ici que le président de la république choisit ses ministres sans prendre l’avis direct du peuple ni de ses représentants (le parlement ou tout autre instance de représentation).

Donc, pour parler de développement, il faut croire à l’esprit patriotique du gouvernant. Autrement dit, il faut miser sur sa bonne foi. Mais comment mesure-t-on cette bonne foi ?

Cet éclaircissement fait, j’espère que désormais la jeunesse africaine intègre que le développement dont elle rêve viendra d’elle-même, de sa lutte et de son travail, c’est-à-dire une approche «bottom-up».

Du rêve du développement en Afrique, parlons-en...

L’Afrique se construira autour du rêve africain, c’est évident. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, la jeunesse africaine n’a pas encore défini son propre rêve. La bonne nouvelle, ce n’est pas encore trop tard. Le drame serait de ne pas agir dès maintenant. Ne me dites surtout pas que «L’avenir du monde, c’est en Afrique.», «La force de l’Afrique, c’est sa jeunesse.», ou encore «L’Afrique regorge de toutes les matières premières.» sont des rêves. Ne nous y méprenons pas. A chaque fois, il faut trouver un slogan pour les africains. C’est ça le développement! Et croyez-moi, après le discours sur la croissance démographique en Afrique, il y en aura encore d’autres. Les africains doivent-ils se contenter d’un simple nouveau discours à chaque décennie ? Qu’il nous souvienne, nos pays ne sont toujours pas industrialisés, nous ne disposons pas de centre de recherche et de laboratoires d’envergure pour notre propriété intellectuelle, etc. L’Afrique compte seulement 35 chercheurs par millions d’habitants et aucun pays africains ne parvient à affecter 1 % de son PIB à la recherche. Les discours changent, mais il y a bien une chose qui, malheureusement, ne change guère : notre misère.

La jeunesse africaine doit se prémunir contre une impéritie grave. Sinon, elle perpétuerait une mauvaise tradition.

A lui, ce jeune peuple dont les routes pleines d’angoisses sont pavées de tromperies, de fausses promesses et de misère, nous n’allons pas dire : «Attends, tu auras un jour», mais : «Lève-toi, crée ton rêve, prends tes responsabilités, travaille, et lutte de toutes tes forces pour conquérir la liberté et le bonheur!»

Le programme est à la fois, vague, vaste et complexe. Mais je n’ai jamais promis la facilité non plus.

Publié par : Béringer GloGlo, économiste     -     Publié le : 14 sept. 2021