Une chose est observée lors d’une crise. Les conséquences. Une autre chose a tendance à être occultée. La crise n’est que la résultante d’une accumulation de vulnérabilités antérieures, parfois enfouies. Ceci dit, chaque crise survient avec des impacts, certes. Mais fort heureusement, ils ne sont pas uniquement négatifs. Il y a également des enseignements. Dès lors, la responsabilité incombe aux différents acteurs d’en tirer des leçons pour anticiper sur le futur.
C’est au crépuscule de la crise de covid-19 qu’affleure la crise en Ukraine, laquelle est assez révélatrice pour le marché continental de libre-échange africain en perspective.
Dans le sillage de la crise en Ukraine les analyses abondantes sur le décryptage des effets potentiels pour les économies africaines soulignent une dépendance aux céréales russes et ukrainiennes - 30 % du blé consommé en Afrique provient de la Russie. Parmi les pays les plus exposés, le Bénin importe la totalité de sa consommation de blé de la Russie, le Rwanda en importe 60% du même pays pendant qu’au Sénégal 60% du blé consommé provient de la Russie et de l’Ukraine, en Egypte environ 80% du blé est fournie par ces deux pays. Qui plus est, presqu’aucun pays en Afrique de l’Ouest ne produit d’engrais, lesquels sont indispensables pour l’agriculture domestique. Le Nigéria qui fait l’exception exporte l’essentielle de sa production hors du contient.
Ce double constat revivifie un débat persistant sur la nécessité de l’indépendance alimentaire directe et indirecte (via les engrais) des pays du contient vis-à-vis de l’occident et des autres régions du monde. Mais plus important, il donne, par ailleurs des indications importantes pour le marché de libre-échange africain en perspective. Eu égard à la faiblesse du commerce intra africain estimé à moins de 20% du commerce mondiale environ malgré le potentiel du marché africain (un milliard de consommateurs à l’horizon), le marché commun continental est perçu comme la solution pour renforcer le commerce africain.
A l’aune de l’actualité contemporaine de la crise en Ukraine, il serait, cependant, préjudiciable pour les économies africaines d’ouvrir un marché de cette taille avec une production piètre, sans un développement des chaînes de valeur régionale. Bien que la science économique ait suffisamment documenté les avantages du développement commercial, une chose ne doit pas nous échapper. En principe on échange, ex post, des biens fabriqués ex ante. Mais les pays d'Afrique font très peu de transformations et dépendent du reste du monde pour leur consommation.
Par exemple, en moyenne 81,8% des importations de la région sub-saharienne provenaient du reste du monde (hors Afrique). Environ 19,1% du total de ces importations sont en provenance de la Chine, 15% de la zone Euro. Les produits manufacturiers représentent en moyenne 65% de ces importations. Le graphique suivant fournit une décomposition de ses importations de 2010 à 2019.
Figure : Décomposition des importations (en %)
Source : Banque Mondiale/ CJEA
Si les pays africains maintiennent leur configuration actuelle d’importateurs nets de produits manufacturés, le marché continental risque de servir de débouché pour les produits manufacturés en provenance d’autres régions, notamment de l’Asie au détriment du Made in Africa. Il suffit d’un dumping des produits de qualité inférieur à bas coûts en provenance de l’extérieur pour saper l’industrialisation du continent et compromettre définitivement la compétitivité des produits locaux qui pâtissent déjà de mauvaises conditions en termes d’infrastructures énergétique et routière.