Les contraintes et l’inégale répartition auxquelles font face les villes africaines en termes d’infrastructures et équipements de base, constituent le point de départ d’une foultitude de défis qui les tiennent en joue, faisant de la question urbaine une urgence permanente qui remet en cause nos modèles de développement. Et si le nœud du problème se trouvait dans la relation ville-campagne ?
Charles Becker et Andrew Morisson, avançaient dans une étude en date de 1998 que l’augmentation de la population urbaine n’était imputable à la croissance de l’emploi que pour un volume de 10%, preuve que l’arrivée massive des migrants en ville favorise/favorisait davantage l’évolution du secteur informel. Porte de sortie pour les nombreux jeunes chômeurs qui arrivent en ville, mais également phénomène à combattre ; l’économie informelle est également le symbole d’une insertion difficile en milieu urbain, dans un monde aux flux migratoire intensifs en direction des villes. L’accès au travail, la constitution d’un ménage et l’accès au logement ; principales composantes de l’insertion ne sont pas systématiquement garanties d’où l’importance des réseaux familiaux et du capital social pour accéder au logement et à l’emploi, ainsi que pour stimuler l’ascension sociale en milieu urbain.
Jauger les dynamiques urbaines
Devant faire face à leur croissance naturelle, mais aussi à la pression migratoire, les villes ne sont plus en mesure de satisfaire les besoins de leurs natifs et des migrants. La ruralisation, accentuée par le double effet des programmes d’ajustement structurels (à travers la réduction du pouvoir d’achat des populations ainsi que des dépenses sociales) et de l’immigration des ruraux, laisse des traces encore visibles (plus dans les villes secondaires que dans les capitales). Cela pose la double question de l’amélioration de la qualité de vie dans les zones urbanisées et, celle plus profonde, de « la capacité politique de la ville à faire société ».
En effet, la ville n’est plus qu’une question économique et industrielle, simplement adossée à la nécessité de l’aménagement, mais bien une question sociale. Cela traduit en fait la difficulté des milieux urbains à créer une réelle société, car la ville est le lieu de nombreuses discriminations et de l’accroissement des bidonvilles ; mais également le territoire d’un embourgeoisement qui marque et accentue le distinguo entre les différentes classes sociales.
Il apparaît donc fondamental, de ce point de vue, de limiter la pression migratoire, pour accentuer les possibles de la ville en matière de maîtrise de l’urbanisation, et par voie de conséquence, d’amélioration des conditions de vie des populations urbaines. L’anéantissement de « l’avantage urbain » apparait ici être une approche idéale. En effet, comme l’a démontré Nathan Keyfitz, cet avantage urbain (urban bias) contribue à l’auto-alimentation de l’exode rural dans une boucle de rétroaction positive. Les conditions de vie avantageuses en ville et la disponibilité d’infrastructures adéquates et d’équipements collectifs attirent les ruraux vers les villes, ce qui accroît les migrations et le poids démographique des lieux d’accueil. Cela a de ce fait pour corollaire d’intensifier le poids politique des citadins. La ville est ainsi favorisée par le pouvoir politique, ce qui crée un nouvel avantage urbain et incite à de nouvelles migrations.
Créer la ville à la campagne
Pour briser ce cycle auto-entretenu, il incombe aux gouvernements de créer un meilleur équilibre entre villes et campagnes pour freiner l’exode rural. Il est vrai qu’en Afrique les marges de manœuvres sont limitées du fait de multiples contraintes politiques et administratifs. Toutefois, pour une meilleure gestion de l’urbanisation africaine, spécifiquement dans une perspective de développement durable, il est impératif de mettre en place des mécanismes de régulation ou d’auto-régulation.
Cela pose toute la question des politiques qui conviennent au développement durable des villes africaines. Les mesures de déguerpissement ayant montré leurs limites, il reste important d’agir davantage en faveur d’une meilleure planification familiale et de l’élévation du statut des femmes, tout en accordant plus de ressources au profit du développement rural et en veillant à instaurer un équilibre dans la disponibilité des services sociaux en ville comme au village. Le développement des villes secondaires pourrait d’ailleurs faire office de premier filtre pour une meilleure gestion de l’urbanisation, une sorte de sas intermédiaire censée freiner la ruée vers les capitales. L’enseignement et la formation, à destination du développement des métiers occupant principalement les ruraux, reste un levier principal dans l’émulation et le maintien d’activités visant au développement rural.
À l’heure où s’accroissent les bidonvilles en Afrique, le surpeuplement des logements est une tendance lourde dans de nombreuses aires urbaines. La pauvreté et les conditions de vie des populations s’accentuent davantage. Il nous faut réinventer l’urbain. Gageons que le développement des villages représente une part non négligeable de la solution.