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Qu’est-ce qui justifie cette opulence qui s’étend jusqu’aux rangs les plus bas du peuple à certains endroits du monde ? ..et l'Afrique ?
Bonne interrogation.
Considérons deux états des choses.
Le premier. Il est une contrée avec une économie primitive de collecte - c’est-à-dire d’acquisition des biens primaires (ou de premier ordre) naturellement disponibles. On associe, souvent, les biens primaires aux ressources naturelles ; qu'il s'agisse de l'agriculture, de l'élevage, des extractions et de tous ceux peu transformés ou semi-transformés mais qui ne visent pas à produire d'autres biens dans le système d'exploitation productive et économique. Dans cette contrée, la plupart des tâches sont réparties de la manière la plus efficace entre les habitants de la contrée. Certains sont des chasseurs, d’autres des pêcheurs et d’autres encore s’occupent exclusivement de la collecte de végétaux sauvages. La répartition des tâches peut être plus prononcée, de sorte que chaque tâche distincte soit accomplie par un membre spécialisé de la contrée.
Dans cette configuration, deux options sont envisageables. Soit, la contrée obtient le même résultat avec moins d’effort individuel. Soit, en fournissant le même effort, elle atteint un résultat supérieur à la situation de départ. Dans le second cas, les conditions des habitants de la contrée s’amélioreraient grâce à la répartition efficace et plus adaptée des tâches professionnelles. Mais c’est du Adam Smith[1] ça ! Oui bien sûr...
Dans le second état, les habitants de la contrée, par coïncidence divine, deviennent plus ambitieux. Ils ne veulent plus limiter leurs activités aux tâches d’une économie primitive de collecte. Ils souhaitent, désormais, consommés des biens du troisième, quatrième ordre et, plus généralement, des ordres supérieurs. Si les habitants de la contrée associent, graduellement, la satisfaction de leurs besoins à des biens d’ordre toujours plus élevé et si cela s’accompagne toujours d’une répartition plus efficace des tâches, alors leur bien-être croîtrait également. Admettons cela. Le chasseur passe de la chasse du gibier à l’aide d’une massue à la chasse à l’arc et au filet, à l’élevage le plus simple, et successivement à l’élevage intensif. Ceux qui vivaient de plantes sauvages migrent progressivement vers une agriculture intensive. L’industrie manufacturière émerge et s’améliore au moyen d’outils et de machines toujours plus performants. Le bien-être des habitants augmenterait, sans aucun doute, avec ces développements. Plus la contrée progresse dans cette direction, plus les types de biens disponibles sont variés, plus les occupations sont variées, et plus la répartition progressive du travail est nécessaire et rentable.
En effet, dans sa forme la plus primitive, l’économie de collecte se limite à rassembler les biens de moindre importance que la nature offre par hasard aux habitants de la contrée. Comme les individus n’ont aucune influence sur la production de ces biens, leur origine est indépendante des désirs et des besoins des humains.
Dès lors que les habitants s’affranchissent de cette forme d’économie primitive et recherchent des manières de combiner les choses dans un processus causal pour produire des biens de consommation, acquièrent des choses capables d’être combinées et les traitent comme des biens supérieurs, alors ils obtiendront des biens de consommation qui sont aussi véritablement les résultats de processus naturels que les biens de consommation d’une économie primitive de collecte, mais dont les quantités disponibles ne sont plus indépendantes de leurs désirs et besoins. Au contraire, les quantités des biens de consommation seront déterminées par un processus dont qu’ils gouvernent et régulent par des objectifs humains dans les limites fixées par les lois naturelles.
Les biens de consommations, autrefois, résultants d’un concours accidentel des circonstances de leur origine, deviennent des produits de la volonté humaine, sous la contrainte des lois naturelles ; aussitôt que les habitants ont reconnu ces circonstances et obtenu leur contrôle. Les quantités de biens de consommation dont les habitants disposent ne sont limitées que par l’étendue de la connaissance humaine des liens de causalité entre les choses, et par l’étendue du contrôle humain sur ces choses.
La compréhension croissante des liens de causalité entre les choses et le bien-être humain, et le contrôle croissant des conditions moins immédiatement responsables du bien-être humain, conduisent donc l’humanité d’un état de barbarie et de misère profonde à son stade actuel de civilisation et de bien-être, et ont transformé de vastes régions habitées par quelques hommes misérables et excessivement pauvres en pays civilisés densément peuplés.
Rien n’est plus certain que le degré du progrès économique de l’humanité soit encore, dans les époques futures, proportionné au degré des connaissances humaines, dixit Carl Menger[2].
Certes, c’est une nouvelle réjouissante pour les pays d’Afrique en quête de développement. Ces derniers gagneraient à pondérer davantage sur cet enseignement de Carl Menger en investissant pour un système éducatif plus performant. Car, la connaissance s’acquiert dans les temples du savoir (les écoles, les universités) et progresse avec la recherche et le développement dans les centres et les laboratoires de recherche.
Néanmoins, elle n’est rien d’autre que du vieux vin recyclé dans une bouteille neuve : c’est du déjà connu...
En pleine pandémie, les produits alimentaires importés pour la consommation des ménages béninois ont atteint le plancher (en volume).
Pendant ce temps, les exportations (en volume) des produits alimentaires domestiques atteignaient des plafonds historiques, allant à deux fois plus les performances passées.
La demande toujours plus croissante des ménages (en raison de l'incertitude sur l'approvisionnement des produits) se heurte à une offre réduite du fait de la rupture des chaînes d'approvisionnement et des capacités limitées d'augmentation de la production domestique.
Sur le marché domestique, il s'est ensuivi d'importantes perturbations avec des ajustements de prix à la clé.
Source : CJEA
Le Bénin est un importateur net des produits manufacturés de consommation. En ce sens, le pays ne fait pas l’exception sur le continent africain où les importations de produits manufacturés excèdent 50% du total des importations.
Au 1er trimestre 2019, avant la pandémie de covid-19, le Bénin a importé à peu près 1.619.534 tonnes de produits.
1 an plus tard, au 1er trimestre 2020, dans le sillage de la pandémie de covid-19, ces importations ont baissé à environ 1.009.387 de tonnes de produits et marchandises, soit une baisse de 610.147 tonnes en un an ; et une baisse de 297.180 tonnes par rapport à la moyenne sur la période 2018 (T1) - 2021 (T3).
Les exportations du pays ont connu deux pics à 530.314 tonnes au 1er trimestre 2020 et 526.954 tonnes au 1er trimestre 2021.
Une conséquence de ces évolutions est la perturbation de l’offre et de la demande sur le marché national, qui se manifeste par des ajustements (à la hausse) des prix, laquelle est observée depuis plusieurs mois..
Source : Instad (Bénin)/CJEA
Citez-moi un seul pays développé qui ne soit pas industrialisé ? Outre certains pays faiblement peuplés, vous ne trouverez point de pays développé qui ne soit pas un pays industrialisé. Cela prouve à quel point l’industrialisation est une condition sine qua non au développement économique durable.
Les dirigeants actuels des pays africains le savent. Ceux qui les ont précédés en avaient conscience. Malgré cela, 60 ans après les indépendances, il y a très peu de pays africains qui peuvent se targuer d’avoir mené une politique industrielle efficace au point de rivaliser avec les géants de ce monde. La question qui nous vient à l’esprit est simple. Pourquoi ces pays continuent de vivre principalement sur la vente de cacao, de coton, d’arachides qui rapportent bien moins que des smartphones, climatiseurs et autres ? Pourquoi se limiter à la vente de cacao en lieu et place d’une tablette de chocolat où la marge de bénéfice est plus élevée ?
Il faut d’abord rappeler que c’est au début du 19e siècle que l’activité économique des pays occidentaux changent fondamentalement. L’économie de l’Angleterre et de la France changent de nature en quelques décennies. Ces pays passent d’une économie agraire à une économie fondée sur la commercialisation de produits manufacturés. Les Etats-Unis ainsi que l’Allemagne suivront le pas, puis le Japon et la Russie au début du 20e siècle. Ces changements opérés il y a près de 200 ans, constituent une des forces majeures des économies des grands pays aujourd’hui développés.
En suivant l’exemple occidental, les dragons asiatiques ont adapté le modèle de révolution industrielle à leur réalité à partir des années 1950. Dès l’indépendance, certains pays africains comme le Ghana ou la Zambie décident également d’industrialiser leur économie. Mais c’est en observant le succès sud-coréen et les tentatives africaines que nous trouvons un début d’explication des échecs du continent africain en la matière.
Les pays africains, au lendemain des indépendances, ont voulu substituer les importations par la production manufacturière. Ils ont ainsi appliqué, dès 1960, des politiques s’appuyant sur le contrôle de change, les taxes à l’importation, des quotas et des subventions publiques. Ainsi, le Ghana entreprend de produire de l’acier et de l’aluminium par exemple. Le pays met en vigueur un code de l’investissement qui prévoit une promotion des entreprises locales. Ces politiques ont permis une hausse de la production manufacturière sans pour autant permettre l’accumulation des bénéfices escomptés. Constatant cet échec, les pays africains abandonnent l’idée d’un protectionnisme et embrassent le « tout libéral », conforté par les Politiques d’Ajustement Structurels du Fonds Monétaire International (FMI) et les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995. Et depuis les années 1980, les firmes occidentales se sont confortablement installées dans les pays africains de sorte que dans un pays comme la Côte d’Ivoire, les entreprises françaises représentent aujourd’hui 30% de l’économie[1].
En somme, ce virage stratégique brutal constitue le fondement de l’échec industriel des pays africains. Il résulte malheureusement d’une mauvaise application de la stratégie de substitution de produits étrangers manufacturés. Les pays africains ont ouvert leur marché sans attendre d’avoir constitué des conglomérats solides et prêts à l’exportation. Cette libéralisation précoce a entrainé une désindustrialisation massive des pays africains à partir des années 1980. Les entreprises locales ne peuvent se développer si le marché est déjà occupé par les entreprises de pays plus avancés. Aujourd’hui par exemple, comment un acteur local qui décide de se lancer dans la production de smartphone peut-il du jour au lendemain concurrencer aisément un géant comme Apple ?
L’économiste Friedrich List expliquait déjà au 19e siècle qu’il faut un protectionnisme éducateur avec pour objectif de protéger sur le moyen terme le marché national afin de permettre sur le long terme un libre-échange qui ne soit pas à sens unique. Ainsi, la réouverture complète au libre échange des pays africains ne doit se faire que lorsque ces pays atteignent une certaine maturité industrielle, et commencent à exporter leurs produits manufacturiers.
C’est ainsi qu’a fonctionné la Corée du Sud. A la fin des années 1960, le revenu par habitant était à peu près le même qu’au Ghana. Mais aujourd’hui, celui de la Corée du Sud est 14 fois plus important.
La Corée du Sud a procédé en 4 étapes. Tout comme les pays africains, elle a, d’abord, impulsé dans les années 1950 une substitution de la production étrangère par une production locale pour l’industrie légère. Puis, lors d’une deuxième étape, la Corée du Sud appuie sa stratégie sur la promotion des exportations des produits finis de l’industrie légère dès 1960. C’est ici toute la différence avec les Etats africains, lesquels n’avaient guère instauré une promotion des exportations comme l’expliquent les économistes Bigsten et Söderbom.
Puis, lors d’une troisième phase, pendant que l’industrie légère se développait, la Corée du Sud crée un partenariat solide avec des banques pour maîtriser le capital et financer sans limite des conglomérats nationaux tels que Hyundai, LG, Samsung. Ces firmes bénéficient des avantages financiers et fiscaux. C’est cette troisième étape de la stratégie que les pays africains ont aussi négligée : créer des champions qui doivent briller à l’international tout en maîtrisant l’outil bancaire et financier national.
Ce n’est qu’en 1984 que le gouvernement sud-coréen commence à supprimer les règlementations trop strictes et à libéraliser complètement l’économie. Pendant ce temps, des géants tels que Hyundai, Samsung, Daewoo commencent à s’imposer dans l’économie mondiale. Ces entreprises sont le fer de lance d’un pays qui s’est industrialisé.
C’est en embrassant une vision stratégique de long terme comme celle-ci que les pays africains pourront à terme passer de pays sous-développés à pays émergents. C’est le chemin que prends le Ghana depuis 2016 avec le programme « One district – One factory » (Un district – Une usine). Ce programme vise à créer une grande usine dans chaque district du pays pour atteindre un total de 232 usines à termes ; dont 70 seraient déjà effectifs selon le gouvernement ghanéen. L’industrie automobile est l’un des poumons du projet national. L’objectif, quoique ambitieux mais pas utopique, est d’inonder les routes de Bombay, Sao Paulo ou encore Paris de véhicules made in Ghana (ou plus exactement Kantanka, une marque automobile ghanéenne) dans les prochaines années. En bref, il s’agit tout simplement de conquérir les marchés internationaux. Pour soutenir le projet, le Ghana prévoit une augmentation de 20% à 35% des taxes sur les véhicules importés afin de protéger son industrie naissante.
C’est en adoptant cette vision d’industrialisation échelonnée (déclinée par étapes) avec à terme la transition vers les technologies de pointe que les pays africains pourront, eux aussi, connaître un vrai développement. Ce n’est pas en installant chaque année des industries étrangères qu’un pays accroît son industrie et sa richesse. Le PIB n’est pas le bon thermomètre car il englobe la production étrangère. Les pays africains doivent plutôt chercher à accroître leur Produit National Brut (PNB) en priorité, car les entreprises étrangères finissent toujours par transférer leurs revenus dans leurs pays d’origine. Selon un rapport de la Banque Africaine de Développement et du GFI, l’Afrique aurait transféré à l’étranger près de 1400 milliards de dollars entre 1980 et 2009, ce qui équivaut à un transfert annuel net de 47 milliards par an dans le cadre de flux illicites de capitaux.
En somme, c’est un changement de paradigme qui doit être opéré. Les pays africains ne doivent plus craindre de promouvoir des champions locaux capables de s’imposer à Londres, New-York ou Shangaï.
[1]Selon la Chambre de Commerce et d'Industrie Française en Côte d'Ivoire (CCIFCI), les entreprises françaises représentent un tiers du PIB du pays
Une chose est observée lors d’une crise. Les conséquences. Une autre chose a tendance à être occultée. La crise n’est que la résultante d’une accumulation de vulnérabilités antérieures, parfois enfouies. Ceci dit, chaque crise survient avec des impacts, certes. Mais fort heureusement, ils ne sont pas uniquement négatifs. Il y a également des enseignements. Dès lors, la responsabilité incombe aux différents acteurs d’en tirer des leçons pour anticiper sur le futur.
C’est au crépuscule de la crise de covid-19 qu’affleure la crise en Ukraine, laquelle est assez révélatrice pour le marché continental de libre-échange africain en perspective.
Dans le sillage de la crise en Ukraine les analyses abondantes sur le décryptage des effets potentiels pour les économies africaines soulignent une dépendance aux céréales russes et ukrainiennes - 30 % du blé consommé en Afrique provient de la Russie. Parmi les pays les plus exposés, le Bénin importe la totalité de sa consommation de blé de la Russie, le Rwanda en importe 60% du même pays pendant qu’au Sénégal 60% du blé consommé provient de la Russie et de l’Ukraine, en Egypte environ 80% du blé est fournie par ces deux pays. Qui plus est, presqu’aucun pays en Afrique de l’Ouest ne produit d’engrais, lesquels sont indispensables pour l’agriculture domestique. Le Nigéria qui fait l’exception exporte l’essentielle de sa production hors du contient.
Ce double constat revivifie un débat persistant sur la nécessité de l’indépendance alimentaire directe et indirecte (via les engrais) des pays du contient vis-à-vis de l’occident et des autres régions du monde. Mais plus important, il donne, par ailleurs des indications importantes pour le marché de libre-échange africain en perspective. Eu égard à la faiblesse du commerce intra africain estimé à moins de 20% du commerce mondiale environ malgré le potentiel du marché africain (un milliard de consommateurs à l’horizon), le marché commun continental est perçu comme la solution pour renforcer le commerce africain.
A l’aune de l’actualité contemporaine de la crise en Ukraine, il serait, cependant, préjudiciable pour les économies africaines d’ouvrir un marché de cette taille avec une production piètre, sans un développement des chaînes de valeur régionale. Bien que la science économique ait suffisamment documenté les avantages du développement commercial, une chose ne doit pas nous échapper. En principe on échange, ex post, des biens fabriqués ex ante. Mais les pays d'Afrique font très peu de transformations et dépendent du reste du monde pour leur consommation.
Par exemple, en moyenne 81,8% des importations de la région sub-saharienne provenaient du reste du monde (hors Afrique). Environ 19,1% du total de ces importations sont en provenance de la Chine, 15% de la zone Euro. Les produits manufacturiers représentent en moyenne 65% de ces importations. Le graphique suivant fournit une décomposition de ses importations de 2010 à 2019.
Figure : Décomposition des importations (en %)
Source : Banque Mondiale/ CJEA
Si les pays africains maintiennent leur configuration actuelle d’importateurs nets de produits manufacturés, le marché continental risque de servir de débouché pour les produits manufacturés en provenance d’autres régions, notamment de l’Asie au détriment du Made in Africa. Il suffit d’un dumping des produits de qualité inférieur à bas coûts en provenance de l’extérieur pour saper l’industrialisation du continent et compromettre définitivement la compétitivité des produits locaux qui pâtissent déjà de mauvaises conditions en termes d’infrastructures énergétique et routière.
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