Par définition, l’inflation est une hausse généralisée, durable et cumulative du niveau des prix. Elle est indésirable car elle pèse principalement sur les dépenses des ménages, réduisant leur pouvoir d'achat. Les plus pauvres sont durement touchés. Lorsqu’elle est persistante, l’inflation accroît les inégalités et freine la croissance de la production.
Une inflation partie du monde Occidental
Après le ralentissement de l’activité économique observé en 2020, les taux d’inflations ont entamé une hausse exponentielle depuis le dernier trimestre de 2020, atteignant des niveaux record aux Etats-Unis (7%), dans la zone Euro (5%) et dans l’Union Européenne (5.3%) en 2022. L’inflation des denrées alimentaires en Afrique est évaluée à 10.9% en Août 2021 (FMI REO Octobre 2021). Cette hausse reflétait entre autre l’inflation globale (notamment dans les pays premiers partenaires commerciaux), la hausse des prix du pétrole, les phénomènes climatiques (sècheresse) dans la région, les restrictions à l’exportation des importants partenaires commerciaux (ex. la Chine).
L’inflation actuelle est d'autant plus inquiétante qu'elle intervient dans un climat d’économies déjà fragilisées par la crise de COVID, de niveau d'endettement élevé, avec d’importants déficits budgétaires (factures des réponses des pays à la crise sanitaro-économique) notamment dans les pays en développement, comme ceux de l’Afrique Sub-Saharienne. De plus, elle affecte la composante sous-jacente ou encore l’inflation de base (inflation des biens et services, énergie et l'alimentaire exclus).
La hausse des prix des produits de base (notamment le pétrole) pèse sur la croissance économique, notamment dans les pays importateurs nets (comme les pays d'Afrique sub-saharienne). Au cours de la période 2010-2020, les importations en Afrique Sub-Saharienne ont couvert en moyenne 27.04 % du PIB. Ces importations concernent essentiellement les produits manufacturiers (67.62 %), les produits pétroliers (13%) et les produits alimentaires (13%).
Figure 1 : Part des importations destinées aux produits alimentaire, aux matières premières agricoles, aux produits pétroliers et aux produits manufacturiers. (en %)
Source : Banque Mondiale
En moyenne 81.8% des importations de la région sub-saharienne provenaient du reste du monde (hors Afrique). Environ 19.1% du total de ces importations étaient en provenance de la Chine, 15% en provenance de la zone Euro. Cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur expose la région à des effets de contagion (transfert de l’inflation ou inflation importée) plus ou moins importants. Elle est accentuée par d’autres facteurs macroéconomiques domestiques, notamment les dérèglements climatiques qui pénalisent la production domestique.
Une guerre qui n’arrange rien
Dans un tel environnement macroéconomique morose, le conflit Ukraine-Russe rend l’avenir encore plus incertain. On assiste ainsi depuis le début du conflit en Europe orientale à une seconde vague flambée des prix portée essentiellement par la hausse des prix du gaz et du pétrole mais également des produits alimentaires notamment le blé (figure 2). En effet, l’Ukraine et la Fédération de Russie constituent des partenaires importants dans le secteur du gaz, du pétrole, du blé. La Fédération de Russie figure parmi les principaux producteurs et exportateurs de pétrole, ainsi que de plusieurs métaux industriels. De même, elle abrite d’importantes réserves de gaz, de charbon. L’Ukraine et la Fédération de Russie couvrent environ 30% des exportations mondiales. Environ 1.15% des importations globales de la région sub-saharienne proviennent de ces deux pays. Même si moins de 2% des importations de la région sub-saharienne proviennent de l’Ukraine et de la Fédération de Russie, la crise et l’inflation qu’elle induit augmentent les pressions domestiques et le risque de défaut souverain.
Figure 2. Indice des prix
Source : Données de la Banque mondiale sur les prix des produits de base (dernière mise à jour 02 Mars 2022)
De plus, les diverses sanctions et restrictions appliquées à la Fédération de Russie affectent le pays mais également le reste du monde. Ainsi, la hausse du prix pétrole induite par la guerre représente un majeur choc d’offre qui vient s’ajouter aux pressions inflationnistes déjà existante. La hausse des prix des denrées alimentaires soulève de véritables inquiétudes quant à l’insécurité et la pénurie alimentaire dans les pays en voie de développement notamment ceux de l’Afrique Sub-Saharienne. Plusieurs pays de l’Afrique Sub-saharienne dépendent essentiellement de la Fédération de Russie en termes d’importation des produits agro-alimentaires. D’après un récent rapport de Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), entre 2018 et 2020, l’Afrique a importé environ $5.1 milliards en blé de la Fédération de Russie ($3.7 milliards) et de l’Ukraine ($1.4 milliards). Cela représente au total 44% des importations en blé de l’Afrique (CNUCED 2022). Cette guerre et les restrictions à l’exportation de la Fédération de Russie constituent ainsi un facteur de risque pour les économies africaines. Douze pays (12) pays de l’Afrique Sub-Saharienne dépendent à plus de 50% de l’Ukraine et la Fédération de Russie pour le blé : Burundi, Uganda, Gambie, Burkina Faso, Congo, Madagascar, Rwanda, Tanzanie, Sénégal, le Congo, Soudan, et le Bénin. Le Bénin importe exclusivement toute sa consommation de blé de la Fédération de Russie.
De même, l’Union Européenne, l’un des principaux partenaires commerciaux de la région est frappée de plein fouet (dû à sa dépendance en gaz, pétrole).
De plus, si cette hausse s’accompagne d’une nouvelle augmentation des coûts des engrais et des autres produits agricoles, cela aurait un effet négatif sur la prochaine campagne agricole en Afrique, accentuant les pressions inflationnistes, ainsi que les risques humanitaires. Une nouvelle hausse des coûts des intrants est un facteur de risque important en Afrique, car les prix de l'urée et du phosphate - deux composants majeurs des engrais - ont déjà augmenté de 30 % et de 4 %, respectivement, fin 2021. En outre, les possibilités de remplacer les importations en provenance de la Fédération de Russie et de l'Ukraine par le commerce intra-africain sont limitées, car l'offre régionale de blé est relativement faible.
Une sanction sur le pétrole russe, viendrait exacerber la hausse du prix du pétrole.
La guerre Ukraine-Russe vient également accentuer le dysfonctionnement de la chaîne d’approvisionnement (dysfonctionnement induit par la crise du COVID-19), affectant ainsi l’offre globale. Les restrictions liées à l’espace aérien des deux pays (l'espace aérien russe est fermé à 36 pays et vice versa) pourraient entraîner non seulement une hausse des frais de transports mais aussi une augmentation des délais d’expédition. En effet, les deux pays occupent une position clé pour le « pont terrestre eurasien » encore appelé la « Nouvelle route de la soie ».
Enfin, la hausse des taux d’intérêt, entrepris par la FED, en réponse à l’inflation représente une source majeure de risque pour les pays de l’Afrique, notamment ceux ayant un niveau de dette élevé. En effet, une contraction de la politique monétaire américaine entraîne une hausse de la prime de risque principalement pour les pays en voie de développement. Cela induit une hausse du service de la dette, ainsi que celle des taux des obligations, réduisant ainsi l’accès au financement.
Nos recommandations
Il est primordial de relever la source de l'inflation domestique afin d'adopter les mesures adéquates. Dans le cas actuel (économie déjà fragilisée par la crise de la COVID, niveau d'endettement élevé, avec large déficit fiscal), les gouvernements font face à des arbitrages difficiles. Traditionnellement, en réponse à la hausse de l’inflation, les banques centrales augmentent les taux d'intérêt afin de réduire la demande domestique. La hausse des taux d’intérêt permettrait à plusieurs pays de réduire les pressions inflationnistes domestiques, limiter/empêcher la dépréciation de la devise nationale. Toutefois, elle aura aussi pour effet l’amenuisement de la croissance économique.
Il est important de rappeler que la hausse du niveau d’inflation dégrade le pouvoir d’achat des ménages, surtout celui des plus pauvres.
En premier lieu, les gouvernements devraient alors augmenter les subventions pour atténuer l'impact des prix élevés des produits de base ; fournir un soutien aux entreprises afin de limiter l'augmentation des coûts de production. Ils devraient temporairement réduire les taxes (TVA) sur ces produits de base.
Cette hausse de l'inflation souligne la nécessité de réformes structurelles dans les pays africains :
1) augmenter la productivité intérieure afin d'accroître l’offre de biens nationaux, et une diversification de la dépendance énergétique vis-à-vis du pétrole.
2) améliorer les investissements en infrastructures de transport et les capacités de stockage afin de promouvoir la production domestique et le commerce intrarégional.
En bref
L’importation est le canal de transmission de l’inflation de l’Europe, des USA vers l’Afrique. En conséquence, une politique agricole endogène compatible avec une politique alimentaire africaine est nécessaire pour réduire les importations et s’autoalimenter dans le futur. Le contexte actuel, une fois encore, met en exergue le poids de la dépendance énergétique, industrielle et alimentaire des pays de l’Afrique Sub-saharienne.